Vente Sotheby's
C’est depuis deux semaines que les Hommes en parlent ; tous. Une heure sur deux on cite mon nom au moins une fois sur la terre. D’une bouche à l’autre leurs langues salivent pour moi. Qu’est-ce qu’on peut faire ? Je les intéresse. Pourquoi pas ?
Direct après l’audite, un homme en chapeau raide mis sur costume cintré est venu me trouver. Il essuya ses lunettes, enleva ses gants en daim, et m’a dit : « Pour les arts premiers c’est la France qui gère l’écoulement des lots. » Bien. Ça se fit chez Sotheby’s, à Paris, rue Saint Honoré.
Quand je suis rentré dans la salle des ventes, tout le monde s’est
levé pour m’applaudir comme un être infiniment rare + hyper précieux.
Sur une estrade, au milieu de femmes jeunes et élégantes, un homme
déclara ouverte la vente Sotheby’s numéro X des objets des ‘‘Derniers
des Mondes Premiers’’ : arts d’Afrique et d’Océanie, un peu Asie aussi,
Polynésie, Bornéo, Monde latino et aztèques endormis… Oui. Je suis tout
ça. Pour eux je condense les mondes disparus. Ils le disent en tout
cas.
Tout ça commença par ma collection personnelle. C'est-à-dire : les habits qu’ils trouvèrent sur moi. Ceux là, tout l’argent de leur vente était pour moi. Rien qu’à moi. Les autre lots non. Les autres co-appartenaient à une fac de France qui avait permis le grand programme de fouille au dessus de ma grotte, et à l’entreprise de forage Tatol, qui l’avait financé. C’est grâce à eux. Ils sont gentils. Bref. Moi je me suis endormi, bercé par le panneau à gauche de l’estrade qui indiquait la qualité de ma fortune potentielle : 800 000 euros, xxx dollars, xx yens… rien que pour mon bracelet. Bien. On me regardait différemment d’un coup.
Puis les 1000 lots de ma tribu qu’on avait découverts avec moi dans ma grotte s’éclipsèrent un à un = magnifique masque sauvage, bague barbare, figure primitive, déesse attifée, bronze maquillé, statuette antique, totem authentique, couple fétiche… 260 000 euros, lot 23, exceptionnel masque sculpté à la pierre anémone…« Ouh » la salle murmura en découvrant l’objet.
Moi ça me faisait rire parce que dans ma grotte, l’exceptionnel masque à la pierre anémone je l’avais taillé pour faire peur à mon pote Couleur amère du teint frais quand il s’endormait. Je faisais comme ça : « ouh ouh, Couleur Amère s’endort… je vais lui manger son étoile d’artichaut. » J’avais mon masque. Il avait peur. Il chialait.
D’un coup j’ai levé ma pancarte bleue avec mon numéro d’acheteur parce que le lot qu’on écoulait, c’était le masque que portrait ma mère et sur lequel, à force de l’avoir mis, son visage c’était pour ainsi dire incrusté.
- « Ouh ouh… Mr Hilde De Vronmeu Finir De boue renchérit ! » a dit l’homme au milieu de l’estrade en tapant son marteau sur la table devant lui.
- Et moi : « bah oui. »
Mais je suis pas le seul. Tout le monde renchérit ! « Enchère » et tac, l’homme frappe son marteau : « enchère à gauche ! » Ça monte… « Enchère au fond, à droite », ça monte… et c’est monté trop haut. « J’adjuge ». Deux coups de marteau bam et bam… voilà. Les pommettes se plissèrent dans la salle vers l’acheteur en saluant l’acte. J’ai regardé la figure de maman gravée dans l’ébène se faire emmener par les mains gantées d’une blonde vers l’homme qui se l’était payée. Ça s’est fini.