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29 mai 2008

Rencontre avec Lesta

A Paris j’ai vécu tout de suite comme chez moi. Entouré. Ma chance tint des autres presque exclusivement : lié à Molime et Lesta, j’ai pris des habitudes et j’en ai plus déviées même une seule fois.

Tous les trois d’ailleurs, on est resté fidèles à tout ce que nous avions fixé après être sortis du bateau. Pour les autres, je crois beaucoup (je crois la quasi-totalité des passés) perdirent les dernières forces qui leur restaient à tenter d’entrer en légalité.

Erreur : personne n’avait rien à faire dans cette ville, archaïque et décharnée ; morte en partie, sans ambition ; sans exigence non plus. Et puis, tous éconduits des vanités qui font d’habitude un support à la tête humaine, l’ossature à laquelle on appartenait nous avait déportés bien trop loin. En réalité, personne ne reprend jamais souffle après ça. Ecaillés comme on est, la vie c’est plus que pour jouer. C’est pas sérieux en vérité ; tout ça c’est rien.

C

omme ça on a rencontré Lesta dès qu’on a touché le sol, en sortant du bateau ... Moi dès ce moment là, vraiment, dès que j’ai mis un pied sur la terre, j’ai pensé voilà : à partir de maintenant ma résistance est là ; écrire. Tout. Personne pourra plus dire un mot après moi. Ça j’ai su dès qu’on a quitté la cale : après moi quand on passera d’une histoire à une autre, après moi, des combinaisons dans les textes, on n’en inventera plus. La matière elle sera là, y’aura plus qu’à souffler dedans.

Toujours il restera moi d’abord à l’origine. Les valeurs je les aurai fixées y’a longtemps. Voilà. C’était sans doute là déjà pas faisable, plus ou moins je savais mais… au moins… au moins ça m’orienta ma lutte… et mon cerveau ; je suis vivant encore à peu près. Profond presque aussi ; parfois. Comme ça, je passerai de là à là sans trahir ; comme ça

On a rencontré Lesta dès qu’on a touché le sol. On avançait lentement, collés les uns aux autres. Très tôt cette nuit la rumeur s’était répandue dans la cale qu’on avait descendu l’ancre. Un vieillard a dit « moi je sais, j’ai entendu les poulies pivoter ; signe qu’on tourne la chaîne en bas : c’est comme ça, on stabilise la proue » … « on s’arrime aux quais » un autre a répondu. C’était vrai parce qu’au matin on ouvrit ; « doucement… tout doucement on se lève et doucement on avance. »

Ils l’ont dit mais bon, qui pouvait trouver l’énergie pour faire différemment ? Pas moi. Deux mouvements dans la minute on réussissait maintenant, peut-être un petit geste en plus ; mais rien.

Puis ça commença : la file lentement s’étira et on a marché.

Moi je portais une petite enfant sur mon dos. Je l’avais rencontrée au deuxième jour, quand bien après la mort de son papa, sa mère la prit dans ses bras et la berça pour de bon :

- « Je suis malade amour, je mourrai »

- « Bientôt ? » la petite demande,

Et : 

- « Oui … Bientôt … »

- « Comme Papa alors ? » elle enroule ses doigts dans les cheveux de la maman.

- « Oui Maëlle oui ... Tout comme Papa  ».

Voilà. La petite pria seule un moment. Je lui ai construit les rois mages pour la guider jusqu'à ses parents qui devaient l’attendre de là où ils étaient je lui ai dit.. Elle a ri. Moi aussi. Quand on a pu descendre, je l’ai mise sur mon dos, ses jambes serrées autour de mon ventre elle agrippait ses bras à mon cou, ses ongles dans ma peau, osseuse, effritée, et rassise. Molime lui s’accrochait à ce qui restait ; pendu à moi, ses paumes en étau sur mon épaule droite. On allait si doucement aussi, debout à attendre… à faire un pas dans l’heure qu’à vrai dire, ce qu’aurait du galvaniser les derniers sursitaires à moitié morts depuis un temps, ce qu’aurait du les remettre à r’ouvrir un peu les yeux, finit par les achever totalement ; et finit même par achever certains qui s’étaient vus déjà sauvés. « On attend depuis des années » moi je pensais.

Et : « Y’a combien de bateaux qui débarquent ici putain ! Pourquoi c’est si long ! » Molime a dit. Avant ça jamais encore je ne l’avais entendu dire un mot. Dans le bateau, nous avions le dialogue minimal au possible. Tout dans le détail alors, mais tout en miniature aussi ; réduit. Sensiblement. Je crois les premières heures j'ai pas du faire plus de deux mouvements en tout. Un pour m'asseoir et l'autre pour mettre le pain dans ma bouche. Très vite aussi du pain, j’ai partagé avec Molime.

Dans la cale il est tombé en anémie dès les premières heures. Alors bon, voilà ; j’ai laissé ma part de rations pour lui. Il bavait déjà je me rappelle, j'épongeais ça avec mes chaussettes. Je suis resté accroupi pendant des jours pour qu'il ait la place d'allonger ses jambes et de dormir tranquille, un peu. Je l'ai sauvé moi aussi, un peu. Tant que j’ai pu j’ai aidé à soulever son thorax encore suffisamment.

« Y’a combien de bateaux qui débarquent ici putain ! Pourquoi c’est si long ! » Molime a dit et voilà : dans la queue alors, la gosse a grimpé sur mes épaules pour dire ce qu’on attendait. Mais « Quoi ? Je vois rien. Y’en a trop. Trop de monde !! Je sais pas d’où mais ça bloque. » Elle est descendue de mon dos, puis a voulu y aller seule, un peu, à travers la foule, pour venir nous dire après pourquoi ça tassait. Elle est partie comme ça : « Je reviens dans l’instant ». Et moi : « Oui. A tout de suite petite. Juste fais attention ».  

On l’a attendue des heures encore sans bouger ; puis la file a renchaîné vers devant. On a marché jusqu’à elle. Assise sur le côté, au milieu d’un groupe d’enfants. « Ils vont la voler pour en faire une pute, c’est leurs parents qui les font faire ça » on m’a dit. « Non » un autre a repris, « non, ils vont la faire raper dans le métro, c’est comme ça maintenant ! » Bref. « Reprends la » j’entends derrière moi. « Reprends la ! »

Je lâche Molime et m’avance. Elle me voit, me regarde m’approcher, elle me laisse pas de l’œil une seconde ; sa pupille greffée sur moi. Elle tient de moi maintenant ; donc bon, j’y vais.

On m’attend aussi visiblement. Là tous, ils sont combien ? Je sais pas. Je risque plus grand-chose toute façon, j’avance ... Jusqu’à elle. Je la prends par la main. « On rentre ». Deux gars, deux gars assez âgés m’attrapent par l’épaule mais ça va. « Oh lâche » je dis à un, « lâche moi » mais c’est l’autre : il a sorti je sais pas quoi de dessous lui… du métal on dirait ; oui, en tombant j’ai senti. Ça continue, c’est du métal… je dois saigner. C’est fini.

Allongé par terre je les vois rembarquer les enfants. Et Maëlle avec… C’est fini. Sauf pour un là celui qui m’a frappé je vois : il est par terre aussi maintenant. Sa mâchoire a décroché des gencives. Là il reste, affalé comme un veau. Je me relève pour voir encore. C’était Lesta. J’ai su. Qui m’avait aidé : c’était Lesta

Les enfants étaient partis et personne bougeait, tous là au milieu du pont à regarder. Le gars saignait des yeux maintenant. Lesta prit sa canne et transperça la trachée du gars. D’un coup : sa gorge est percée.  Il essaie d’y mettre un ou deux gestes en résistance aussi mais là, quoi qu’il fasse, les actions de Lesta ne s’en lient que mieux. D’un geste à l’autre, en spirales et en anneaux Tac ; Lesta l’a regardé dans l’œil et le lui craqua du bout des doigts, tac ! TAC ! Sans doute on aurait du l’arrêter mais bon… bah bon … voilà. Pourquoi aussi ? Je trouvais ça sain d’extérioriser les choses comme ça ; moi j’aimais.

La petite aussi je l’aimais, alors qu’il la venge. Au moins y’en a qui réagissent, c’est déjà plus rien. Je l’ai coupé ceci dit après un temps. J’y suis allé et j’ai dit « Quoi ? Tu las tué c’est bon.» … « Oui » il a répondu ... et moi : « Alors arrête. » Voilà. Il a rien dit cette fois. Juste il est allé s’asseoir un peu plus loin. J’ai rejoint Molime. On a attendu… que tout le monde parte, on a attendu. Lesta s’est approché. Il avait attendu aussi.

Lesta donc est venu et s’est accroupi devant Molime pour lui filer sa gourde. Voilà comment ça s’est fait. Très facile. Très vite aussi. On s’est mis tous les trois sur le bord et on s’est endormi. Quand je me suis réveillé Lesta chantait doucement. Bon… Dans le bateau alors c’était lui. Très bien. C’est lui : « How many rivers do we have to cross … »

C’était lui. Molime dormait maintenant. On s’est regardé avec Lesta. Il faisait froid. Donc bon. J’ai dit oui, et je suis parti chercher là où on vivrait.

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